11 janvier 2021

Le temps d'une pente



Le temps d'une pente

 

Ce matin-là, je savais où je m’en allais.

Mes skis crissaient sur la neige durcie du sentier. Derrière moi, mon fils marchait avec sa planche à neige sur les épaules. On était au pied d’une colline, dans un boisé en suris, quelques jours après un Noël qu’on avait fêté loin de nos proches, pandémie oblige.

On est arrivé à la fourche. La vieille, à cet endroit, le skieur solitaire que j’étais avait pris à gauche. Il s’était laissé emporter par un sentier grimpant dans la colline. Il avait trouvé par là un nouveau développement en plein développement. Et au bout d’une rue en chantier il avait fait sa découverte.

On a pris à droite à la fourche. On a sauté par-dessus un ruisseau. On parcourt 200 mètres. Puis mon fils le dernier cadeau de Noël que j’avais à lui faire.

On venait d’arriver au pied d’une balafre dans la forêt. Au bas d’une longue descente sauvage qu’il fallait d’abord monter en faisant marcher nos jambes.

La vieille, en le prenant par le haut, j’avais fait dans ce couloir une descente dans l’inconnu, en me demandant dans quoi je m’étais embarqué.

La réponse m’attendait en bas. C’était une promeneuse qui me l’avait donnée. Cette pente perdue faisait partie d’un projet d’agrandissement de la station de ski du mont Saint-Sauveur qui n’avait jamais abouti. 

En montant, je pointais les creux et les bosses que je trouvais inquiétants. Mais pour mon fils, ces embûches devenaient des sauts potentiels. Mon cadeau commençait à l’exciter pour vrai. Il marchait en tête et mes skis effaçaient les empreintes de ses bottes.

Rendu en haut, on contemplé notre conquête. L’hiver avait du retard. La neige n’était pas encore assez profonde pour recouvrir la friche qui poussait dans le couloir. Il y avait des traces de promeneurs. Mais on avait gagné cette pente perdue et on la prenait telle qu’elle était.

Parti en premier, j’ai slalomé jusqu’à un replat où je me suis arrêté et fait à mon fils de venir me rejoindre. Puis je l’ai regardé aller comme il venait de me regarder aller.

Comme convenu, lui aussi a stoppé à ma hauteur. On n’avale pas ce genre de pente d’une traite. On s’arrête pour arrêter le temps, ou du moins l’étirer, le partager, laisser notre descente laisser nous une trace semblable à celles qu’on laisse dans la neige.

À la fin de l’hiver, cette neige-là va fondre. Et tôt au tard, cette pente sauvage va devenir une branche de civilisation où va pousser des maisons. Mais le temps qu’on a passé dedans ne disparaitra pas avec elle.

C’est le vrai cadeau que j’ai offert à mon fils ce jour. Je vais le partager avec lui pendant encore un temps. Puis il va devenir son unique héritier.


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