02 mars 2025

La descente engloutie


La descente engloutie 

En me préparant à partir, je me suis dit que je m’en allais à la chasse au trésor englouti.

Ma tenue renforçait l’analogie. Je portais la tuque rouge et le manteau jaune et noir que j’ai adoptés pour avoir l’air d’un plongeur de l’équipe Cousteau des années 70 sur mes skis.

J’ai enfilé les bretelles de mon sac à dos comme les vrais plongeurs enfilent celles de leurs bonbonnes. J’ai chaussé mes skis comme ils chaussent leurs palmes. J’ai plongé dans la forêt des Laurentides

J’étais à Saint-Hippolyte, m’enfonçait dans un coin sauvage qui a longtemps été un fief du ski.

Le village voisin, Shawbridge, était en ce temps-là un repaire de skieurs. Les trains des neiges arrêtaient là. Jackrabbit Johannsen habitait là. Le Laurentian Lodge Ski Club se trouvait là. Le McGill Outing Club avait là son quartier-général. Et tout ce beau monde faisait du ski au creux des collines au nord du village où couraient des milles de sentiers.

Ces pistes-là n’ont pas complètement disparu, mais les années les ont transformés en épave. La Flight’s Delight ne vole plus haut. La Whizzard a perdu de sa magie. Ce qui reste de la MOC voit surtout passer des raquetteurs. Et La «Valley of the Fallen Women» a depuis longtemps sombré dans l’oubli.

Le trésor qui gît dans cette épave se trouve sur une vieille piste avec un nom digne d’une carte de pirates: la 6X.

C’est une longue descente grisante, riche en cassures de pente, en virages serrés et en lignes droites vertigineuses, qui dégringole d’une colline sans nom.

Une descente longue de presque un kilomètre où on perd une centaine de mètres d’altitude dans un tracé qui nous force à sortir nos armes: coup de frein, dérapage, braquage, virage télémark…

Un trésor, donc. Engloutie au fond d’un triangle des Bermudes.

Pour l’atteindre, j’ai d’abord glissé le long d’une piste «officiellement fermée» qui passe sur un terrain privé. Puis j’ai pénétré dans une vraie zone interdite: le réseau de «sentiers à l’usage exclusif des résidents» de la Réserve Ogilvy, un développement immobilier qui a transformé ses environs en chasse-gardée.

Je nageais en eaux troubles quand j’ai atteint le sommet de ma descente. Mais personne n’était là pour me prendre en flagrant délit. Je me suis laissé couler dans ma descente engloutie. Puis j’ai plongé dans un premier gros virage et atterri dans un autre panier de crabes.

Le bas de la descente engloutie se trouve dans une autre zone interdite: le fond d’un lot appartenant à un propriétaire qui a une réputation de mangeur d’hommes.

Lui non plus n’était pas dans le bois pour me montrer les dents. À coup de virage, j’ai fendu la neige et ondulé jusqu’en bas de la descente. Puis je me suis arrêté en soulevant de l’écumeblanche.

Comme un plongeur qui touche le fond, je ne pouvais pas descendre plus bas. Mais j’aurais pu continuer mon chemin, rentrer en complétant une boucle.

J’ai préféré repartir par où j’étais venu et profiter de ma remontée pour mieux contempler ma descente.

Tombée du ciel, la neige où flottait mes skis ce jour-là a fini par se transformer en eau qui a ruisselé sur terre, coulé jusque à la mer.

La descente engloutie a disparu avec elle. Mais comme un vaisseau-fantôme, elle refait son apparition tous les hivers là où elle attend les chasseurs de trésor.

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