15 avril 2023

Nulle part ailleurs


Nulle part ailleurs
 

On était au milieu d’avril. Il faisait beau et chaud à Montréal. J’ai mis mes skis dans ma voiture en me demandant si les voisins trouvaient maboule le gars qui s’en allait chercher l’hiver par une journée d’été égarée au printemps.

La blonde du gars, elle, avait fait son idée. Elle ne comprenait pas pourquoi il n’est pas tanné de la neige et du ski.

C’est d’abord une question de tempérament. Je ne suis pas tanné du ski en avril comme je ne suis pas tanné de jouer à la balle en septembre. Je ne suis pas tanné du ski en avril comme je ne suis pas tanné de faire du vélo début décembre.

Le paysage était vert et brun jusque à Saint-Sauveur. Puis les flaques de blanc ont commencé à se multiplier, à grandir, à prendre le dessus dans le paysage.

La 15 m’a amené à Sainte-Adèle. La 370 m’a amené à un chemin de terre. Le chemin de terre m’a amené à l’endroit où je suis parti en ski pour aller nulle part.

Nulle part, c’est le nom qu’un ami skieur donne aux spots secrets qu’il me fait découvrir.

Mais ce jour-là, je m’en allais nulle part en solitaire. Mon ami était ailleurs et le reste du monde aussi. Je n’ai croisé personne sur le sentier qui m’a mené à l’endroit où j’ai piqué à travers bois vers la colline que je m'en allais monter et descendre.

Aussitôt, la glisse est devenue meilleure. Le sentier que je venais d’abandonner était dur et raboteux. Dans la colline, sous des arbres qui allaient bientôt redevenir des feuillus, la neige vierge ramollie par le soleil cédait agréablement sous mes skis.

Je suis monté jusqu’en haut. Le printemps avait fait disparaître la neige sur le buton au sommet de la montagne. J'ai touché  terre sur cet ilot entouré de blanc. Puis j'ai mangé mon lunch assis à l'ombre de mes skis qui attendaient plantés là que je reprenne la neige.

J’ai beaucoup aimé l’équipe Cousteau quand j’étais enfant. Ce que j’ai fait ensuite ressemblait à un épisode de son odyssée sous-marine. J’ai plongé d’un côté de la montagne, trouvé une épave rouillée, remonté, replongé vers le sud, suivi un couloir jusqu’au pied d’une falaise, remonté encore en faisant des paliers pour reprendre mon souffle.

Tout ça était du jamais vu, du jamais skié. C’était la première fois que je baignais dans cette lumière, que je flottais dans cette neige printanière.

Voilà, c’est ça. En ski, on est toujours plongé dans l’inconnu. Le sentier le plus familier n’est jamais tout à fait pareil.  La descente qu’on a dévalée cent fois réclame encore toute notre attention.

C’est pour ça que je ne me tanne pas. Et c’est pour ça qu’en revenant de nulle part ce jour-là, je me suis dit que javais bien fait d’aller nulle part ailleurs.

1 commentaire:

Thanh-An a dit...

C'est bien dis, mais tu oublis qu'on est pas tanné de skier en avril, c'est la même raison que la bière est excellente sur une terrasse pour l'après ski avec le soleil qui dure un peu plus longtemps...