28 mars 2020

Dernière neige


Dernière neige

 

Je suis sorti de ma voiture et j’ai examiné le bord du chemin.

Les traces fraîches étaient là. Deux sillons moulés dans la neige printanière filaient vers la colline où celui que je m’en allais rejoindre attendait que je le rejoigne.

Aussi débrile un fugitif, j’ai mis mes bottes, chaussé mes skis. On était à la fin mars, un samedi. Le soleil brillait. Pour éviter d’avoir trop chaud, je portais le chandail de laine qui me donne l’air de sortir du bon vieux temps.

C’était le bon moment pour prendre le bois. La vieille neige pétrifiée par le gel de la nuit ramolissait au soleil. Le fond était solide, la surface crémeuse. Mes skis mordaient là-dedans comme dans du beurre.

La glisse produisait son effet. Délesté de tout le reste, je me détendais davantage à chaque foulée.

Du côté du chemin, la colline que je contournais est abrupte, rocheuse, hostile au ski. Voilà pourquoi je m’en allais vers son autre versant. 

Ce flanc-là de la colline forme une longue pente ondulée, ni trop raide ni trop douce, plantée d'arbres clairsemés. C’est un fantastique sous-bois sauvage où celui que je venais rejoindre avait déjà tapé un sentier d’ascension, fait quelques descentes.

J’ai attaqué la montée. Ma cadence a ralenti. Ma respiration s’est accéléré. Je ne suis pas un jeune homme. Je suis un vieux de cinquante ans qui pratique un sport d’enfant : monter et descendre une bonne côte. 

J’étais à mi-pente quand un skieur est apparu au sommet. Agile, aérien, il a dévalé la colline à grand coup de virages telemark, puis a fait déraper ses skis pour s’arrêter à ma hauteur.

Hé. Salut. C’est beau. Parfait. Mieux qu’en ville. C’est sûr. Cette neige-là, c’est magique. Comme la poudreuse. Mieux que la poudreuse. Plus facile, mais pas mieux. Non c’est sûr.

Plus jeune, plus fort, il a pris les devants dans la montée. On a gagné le sommet. Puis il s’est laissé happer par la pente et j’ai suivi le mouvement.

En descendant, je me suis retrouvé seul à nouveau. Le monde rétrécit quand on louvoie parmi des arbres. On ne voit plus que l’espace entre les arbres, et pas plus loin le prochain virage.

Mon telemark n’était pas aussi solide que celui de mon compagnon. Mes pieds étaient plus lents, mes virages moins sûres. J’ai vacillé une fois, deux fois, mais j’ai tenu le coup jusqu’en bas.

Je ressentais ce que je ressens toujours après ce genre de descente. Du contentement. De l’insatisfaction. Une émotion difficile à situer qui me donne envie de remonter pour mieux redescendre. 

Pis? Comment ça se passe de votre bord? Pas si pire, mais on a déjà des cas. Et c’est juste une question de temps avant que… 

Sa réponse me faisait regretter ma question. Elles restaient en suspension dans l’air ambiant; et quand son téléphone a sonné, j’ai eu le sentiment de l’avoir provoqué.

La conversation est vite devenue hachurée, tendue. Ils avaient trois cas dans une résidence. Pour les isoler, il fallait installer des lits, trouver des employés. Mon compagon a fait son travail, donné des instructions.

Il a raccroché. Je n’ai rien dit. On est remonté au sommet. Il a dévalé à nouveau la colline, et cette fois je l’ai regardé aller. Je connaissais bien cette silhouette, ce style. L’homme par contre…

On s’était rencontré par hasard sur une autre colline, un autre hiver; et depuis on faisait du ski en parlant de ski.

Ma deuxième descente s’est moins bien passé que la première. En quête de neige vierge, j’ai trouvé des broussailles qui m’ont fouetté le visage. Déséquilibré, j’ai dû faire une longue traverse jusqu’au pied de la pente.

Au moins, je suis resté debout. Moi j’en ai pris une bonne hier. Ici? Non, sur la Munson. Dans la grosse descente? Quand je suis arrivé en bas, le ruisseau était dégelé. Oups. Ouain, ç’a mal fini.

On était presque en haut quand son téléphone a sonné de nouveau. C’était sa patronne. Oui, il avait eu des nouvelles. Non, ça il n’était pas au courant.

Il a raccroché, m’a raconté en faisant aller son téléphone. Le bordel était pogné. Il devait vite retourner à la maison pour travailler.

Salut Robert. Bon là c’est parti pour vrai. On a des cas dans plusieurs résidences. Faut envoyer des gars sur Plessis. Hein? Écoute, faut qu’ils fassent leur job. On a de l’équipement de protection pour eux autres. Voyons ça marche pas de même. Rappelle-les. Moi mon téléphone achève.

C’était fini. Il a repris ses bâtons qu“il avait planté dans la neige.

Désolé. Pas de problème. Toi reste, profite-en.

On a dévalé ensemble la colline, puis il a pris le sentier pour rentrer vers la civilisation.

Celui qu’il laissait derrière est resté planté là. Il n’avait plus la tête au ski. Il avait envie de retourner vers sa maison, sa femme, son fils. Comme si pour lui aussi c’était l’urgence. Mais il était là, dans le bois, en paix, en santé, à l’abri, inutile, et sa famille n’avait rien à craindre pour l’instant.  

Il a repris le chemin du sommet, fait encore quelques descentes; mais son allant s’en était allé avec l’autre.    

En arrivant à sa voiture, il a examiné les traces de son compagnon qui, pressé de rentrer, avait traversé le chemin de gravier sur ses skis puis repris le sentier de l’autre côté.

C’était comme examiner une scène de crime. Le virus avait emporté son ami, tué l’hiver. Il ne restait plus qu’à rentrer s’enfermer à la maison.

27 mars 2020

En pensant à Jackrabbit

Au point où on en est, et avec les conséquences économiques dramatiques de cette crise, je me suis mis à penser à la vie de Jackrabbit Johannsen.

Jackrabbit avait 55 ans quand le ciel, ou plutôt l’économie, lui est tombé sur la tête. On était en 1930. C’était la Grande Dépression. Du jour au lendemain, l’homme d’affaires qu’il était s’est retrouvé avec plus aucune affaires à faire.   

L’homme et sa famille habitaient à Montréal à ce moment-là. Pour eux, comme pour bien du monde, la descente s’est passée très vite. Ils ont brûlé leurs économies. Ils ont été forcés de déménager dans un plus petit appartement. Et puis en novembre 1931, toujours aussi à court d’argent, ils ont reçu un avis d’éviction qui leur a sûrement fait l’effet d’un coup de masse. On parle d’une famille qui, à peine quelques années plus tôt, habitait au luxueux Lake Placid Club dans les Adirondacks.

Dans sa biographie de son père, Alice Johannsen raconte un moment où Jackrabbit s’est adressé à sa famille qui venait de se faire couper le gaz et l’électricité. Je vous traduis ça comme je peux… 

«D’une certaine façon, la vie c’est comme un voyage en canot. Il ne fait pas toujours beau. Mais quand il fait mauvais, le soleil finit toujours par revenir. Au moins, on peut compter les uns sur les autres. On est en santé. Et à nous cinq, on forme une bonne équipe.» 

Puis plus loin… 

«Ce soir, faisons semblant qu’on est parti en expédition en canot. On va se faire un souper de campeurs : des craquelins de seigle avec du fromage et des raisins. Ça demande pas de cuisson et c’est toujours bon. Ensuite, on va se coucher et faire nos prières. Et demain matin, le soleil va briller.» 

Allez savoir si Jackrabbit a vraiment été aussi poétique. En tant que père dans la cinquantaine, je le soupçonne surtout d’avoir démontré plus de confiance qu’il en ressentait en réalité.

Chez moi, j’ai toujours été «l’inquiet-en-chef». Je dois à mon fils de faire mieux. Mais ce n’est pas facile…

Alors je pense à Jackrabbit qui, après avoir tout perdu, a déménagé dans les Laurentides et s’est rebâti une vie autour du ski. Il n’a plus jamais été prospère après ça; mais il est devenu un monument et il a vécu jusqu’à l’âge de 111 ans! 

Il y a une leçon là-dedans. 

19 mars 2020

L’autre montagne Noire

Je n’ai eu aucun problème à pratiquer la distanciation sociale aujourd’hui en me retrouvant complètement seul sur «l’autre montagne Noire» de la région de Saint-Donat.

Eh oui, il y a deux montagnes Noire dans le bout de Saint-Donat. On connaît bien celle par où passe le sentier Inter-Centre à l’ouest du lac Archambault; et on peut maintenant visiter celle située à l’est du lac Ouareau en ski ou en raquettes.

Cette autre montagne Noire s’élève sur le territoire de Notre-Dame-de-la-Merci. N’empêche, le club de plein-air de Saint-Donat a récemment bâti un refuge à proximité et balisé des sentiers dans le coin. 

Pour découvrir ce nouveau secteur, je suis parti ce matin du chemin Du Belvédère, où ou il y a un petit stationnement et le départ de sentier. Suivant un ancien chemin forestier, ce sentier nous fait prendre doucement de l’altitude en nous menant au pied de la montagne Noire.

Ce sentier n’a rien d’excitant, mais au moins il est large. C’est une qualité pour une piste multifonctionnelle. Si tout le monde est discipliné, ça permet aux raquetteurs et aux skieurs d’avoir chacun leur trace.

Voilà à quoi ressemble le sentier partant du chemin Du Belvédère.
Signalisation artisanale mais efficace.
Après deux kilomètres, on arrive à un carrefour d’où part une boucle tracée sur la montagne Noire. Rendu là, un peu au hasard, j’ai choisi de grimper dans la montagne par le sentier partant vers l’est.

Dans la neige vierge et collante où je skiais aujourd’hui, mon ascension s’est passée comme un charme; n’empêche, en passant par ce côté, on a droit à une méchante montée abrupte qui m’a semblé mieux convenir à la raquette; et je voudrais encore moins descendre par là… 

Cet obstacle franchi, je me suis retrouvé dans le «Col du Coyote», une étroite vallée flanquée d’une jolie falaise. 

Dans ce secteur de la boucle, on trouve une bretelle longue de 400 mètres qui mène au sommet de la Montagne Noire.

L’ascension se fait plutôt bien et le sommet vaut le détour. On s’y trouve dans un espace ouvert semé de gros arbres, et on a un point de vue partiellement dégagé sur le lac Ouareau. 

Joli mur de glace dans le «Col du Coyote».
La meilleure vue que j'ai trouvée au sommet de la montagne Noire
On fait de l’excellent ski du côté ouest de la boucle. Pour se rendre au sommet à ski, à mon avis vaut mieux faire l'allez-retour par ce chemin-là.

De ce côté, on trouve aussi l’entrée d’un sentier qui file vers le nord jusqu’au mont Lafrenière. Je n’ai pas poussé dans cette direction aujourd’hui. Je suis plutôt allé jeter un œil au nouveau refuge Crique Saint-Loup, qui est localisé sur un petit sommet au sud de la montagne Noire.

Je dis «petit sommet», mais ça descend sérieusement juste au sud du refuge. Il y a un sentier qui file dans cette direction jusqu’à la route 125 qui m’a l’air très prometteur. Si je compte bien, il y a à 150 mètres de dénivelé sur ce versant de la montagne. Hâte de voir si la descente vaut la montée.

Chose certaine, je me suis bien amusé à monter et à descendre à proximité de refuge avant de rebrousser chemin vers mon auto. Je pense que c'est de ce côté que se trouve le meilleur terrain pour le ski dans le secteur.  
 
CLIQUEZ ICI pour voir le secteur sur Openskimap. 

Le refuge Crique Saint-Loup est flambant neuf.
Ça descend pas mal juste à côté du refuge.
Le sentier qui relie le refuge à la route 125 m'a paru très propice au ski.
Une carte des sentiers où j'ai skié trouvée sur la page Facebook du club de plein air de Saint-Donat.


18 mars 2020

Isolés au mont Catherine

Question de s’aérer l’esprit, fiston et moi sommes allés nous isoler du coronavirus au mont Catherine aujourd’hui 

Petit lunch dans le sac à dos, on a d’abord grimpé jusqu’au cap Beauséjour pour aller admirer la vue sur Sainte-Agathe puis on est allé dîner au tipi du Tyroparc, où c’était le calme plat.

C’est après ça que le fun a commencé. Lentement mais sûrement, c’est-à-dire en remontant souvent pour mieux profiter des meilleures pentes, on a redescendu la montagne en faisant des virages dans une belle couche de neige fraîche.

Fiston m’a impressionné en faisant plusieurs bons virages télémark parmi les arbres sur mes vieux skis Kom qui, à 162 cm, sont encore un peu longs pour lui.

On  a été bien servi côté isolement: on a croisé qu'un seul skieur, David, qui faisait le tour des sentiers du club de plein air de Sainte-Agathe. Et on ne l'a pas approché à moins de trois mètres!  

Une belle journée blanche et ensoleillée qui nous a sorti de la grisaille actuelle. 


Les conditions qu'on a trouvées en grimpant le mont Catherine.
Même si on a mangé dehors au soleil, on s'est arrêté au tipi du Tyroparc.
Le Tyroparc était fermé et son chemin d'accès vierge de trace. J'en ai profité pour en descendre un bon bout.

14 mars 2020

Hemingway et le ski

Ernest Hemingway est mon écrivain favori, alors c'est un grand bonheur pour moi qu'il ait été un fervent skieur et qu'il ait écrit en se laissant inspiré par ses expéditions de ski en Europe.

Ce qu'il a écrit de meilleur sur le ski se trouve dans une une courte nouvelle dont le titre original est «Cross Country Snow». En anglais, c'est une merveille; par contre, la version française que j'ai lue m'a tellement laissé sur ma faim que j'ai eu l'idée d'en faire moi-même une traduction en essayant de rendre en français le style d'Hemingway et ses descriptions très précises de la technique de ski des deux héros de son histoire. Alors voici un peu de lecture pour passer le temps en cette période de tranquillité forcée...


Une randonnée

Le funiculaire eut une dernière secousse puis stoppa. Il ne pouvait pas aller plus loin, de la neige durcie s’était accumulée sur la voie. Le vent qui soufflait sur la montagne avait balayé la surface de la neige et façonné une croûte solide. Nick, qui était en train de farter ses skis dans le fourgon à bagages, enfonça ses bottes dans ses fixations qu’il referma ensuite en serrant bien les étriers. Il sortit du fourgon en sautant de côté sur la neige croûtée, vira d’un bond puis, genoux fléchis, bâtons traînants, se laissa happer par la pente.
Plus bas, dans la blancheur, George disparaissait, réapparaissait puis disparaissait à nouveau. Accélérant soudain dans une cassure abrupte, Nick sentit son cerveau se vider et il ne lui resta plus que l’impression merveilleuse de sentir son corps voler, tomber. Il remonta en haut d’une petite crête, puis la neige parut se dérober sous lui alors qu’il dévalait vite, toujours plus vite, une dernière longue, longue section pentue.  Accroupi, presque assis sur ses skis, s’efforçant d’abaisser son centre gravité alors que la neige tourbillonnait autour de lui, il sentait qu’il allait trop vite. Mais il tenait bon sur ses skis. Puis une tache de neige molle oubliée par le vent dans une cuvette le fit plonger tête première, et il culbuta une fois, deux fois, skis par-dessus tête, comme un lapin fauché en pleine course, avant de s’immobiliser, jambes enchevêtrées, skis pointés vers le ciel, le nez et les oreilles bourrés de neige.    
George se trouvait un peu plus bas et déneigeait son coupe-vent à grands coups de claques.
«T’en as pris une bonne, Mike», lança-t-il à Nick. «Moi aussi la neige molle m’a piégé comme toi».
«À quoi ça ressemble après?» Nick fit aller ses skis, couché sur le dos, puis se remit sur pied.  
«Il faut rester à gauche. C’est une bonne descente rapide avec un virage parallèle à la fin pour éviter la clôture.»
«Attends, on va la faire ensemble.»
«Non, toi en premier. Je veux te voir descendre dans les bosses.»
Nick Adams dépassa George, son large dos et sa tête blonde encore un peu enneigés, puis ses skis se mirent à déraper et il piqua dans la pente en faisant crisser la neige poudreuse et cristalline, montant et descendant parmi les bosses. Il resta à gauche en approchant la clôture et, les genoux collés, son corps pivotant comme un tire-bouchon, il vira à droite en soulevant une gerbe de neige puis freina en dérapant le long de la clôture.
Il regarda vers le haut de la montagne. George était en train de descendre en position télémark, les genoux pliés, une jambe fléchis et placée en avant, l’autre traînant derrière; ses bâtons déployés comme des pattes d’insectes soulevaient la neige en l’effleurant, et pour finir cette figure agenouillée exécuta un majestueux virage à droite, accroupie, jambes décalées, tout le corps arcbouté pour lutter contre le déséquilibre, ses bâtons soulignant sa trajectoire comme des traits de lumière dans la neige.
  «J’ai eu peur de faire un virage parallèle», dit George, «La neige est trop profonde. Toi t’en a fait un beau».
«Je ne peux pas faire de télémark avec ma jambe», dit Nick.
Nick appuya sur le fil de fer de la clôture avec son ski et George glissa par-dessus. Nick le suivit sur le chemin. Ils filèrent le long du chemin et à travers la forêt de pins. Le chemin était glacé et souillé de taches orange et jaune tabac laissées par les hommes qui transportaient du bois. Les skieurs restaient dans la neige au bord. Le chemin tombait à pic jusqu’à un ruisseau puis remontait en ligne droite de l’autre côté. À travers les arbres, on voyait un long bâtiment bas usé par les intempéries. De loin, il était jaune pâle. Plus près, on découvrait que les fenêtres étaient peintes en vert. La peinture s’écaillait. Nick ouvrit ses fixations d’un coup de bâton et enleva ses skis.
«Aussi bien les monter là-haut», dit-il.
Il gravit la côte abrupte avec ses skis sur l’épaule et en plantant dans la glace les talons cloutés de ses bottes. Derrière lui, Il entendait George souffler et planter ses talons lui aussi. Ils posèrent leurs skis contre le mur de l’auberge et balayèrent la neige de leurs pantalons, secouèrent leurs bottes et entrèrent.
C’était sombre à l’intérieur. Un gros poêle en porcelaine chauffait dans un coin de la pièce. Le plafond était bas. Deux Suisses étaient assis d’un côté du poêle avec leurs pipes et deux verres de vin nouveau brumeux. Des bancs usés et des tables maculées de vin étaient alignés le long des murs. Les jeunes hommes retirèrent leurs vestes et s’installèrent dos au mur de l’autre côté du poêle. La voix qui chantait dans l’arrière-salle s’arrêta et une jeune fille en tablier bleu apparut pour leur demander ce qu’ils voulaient boire.
«Une bouteille de Sion», dit Nick. «Ça te va, Gidge?»
«Oui», dit George. «C’est toi qui connaît le vin. Moi je les aime tous.»
La jeune femme s’en alla.      
«Il n'y a rien qui se compare au ski, hein?», dit Nick. «Ce qu’on ressent quand on se laisse aller dans une descente...»
«Arrête», dit George, «C’est trop bon pour qu’on en parle.»
La jeune femme apporta le vin et le bouchon leur donna du mal. Nick finit par en venir à bout. La jeune femme repartit et ils l’entendirent chanter en allemand dans l’arrière-salle.
«Les débris de liège ne sont pas un problème», dit Nick.
«Je me demande si elle a du gâteau.»
«On va voir.»
La jeune fille revint et Nick remarqua que son tablier dissimulait avec élégance son ventre gonflé. Je me demande pourquoi je n’ai pas vu ça tout de suite, pensa-t-il.
«Qu’est-ce que vous chantiez?», l’interrogea-t-il.
«De l’opéra. En allemand.» Elle n’avait rien à dire de plus là-dessus. «Il y a des strudels aux pommes si ça vous en voulez.»
«Elle n’est pas très amicale», dit George.
«Bah, on est des inconnus et elle a peut-être pensé qu’on allait se moquer de sa façon de chanter. Elle vient sans doute de là-haut où ça parle allemand et elle est contrariée d’être ici et elle va avoir un bébé même si elle n’est pas mariée et elle est contrariée.»
«Comment tu sais qu’elle n’est pas mariée?»
« Pas de bague. Et de toute façon, ici aucune fille ne se marie avant d’être enceinte.»
La porte s’ouvrit et des bûcherons entrèrent, secouant leurs bottes et dégageant de la vapeur. Pendant que la serveuse leur apportait trois litres de vin nouveau, ils s’installèrent à deux tables, fumant tranquille, ôtant leurs chapeaux, adossés contre le mur ou accoudés sur la table. Dehors, les chevaux attelés aux traîneaux à bois faisaient sonner leurs cloches en s’ébouriffant.
«J’aimerais mieux que tu restes. On pourrait faire la Dent du Lys demain.»
«Il faut bien que je fasse mon éducation», dit George. «Wow, Mike, tu penses pas qu'on pourrait juste partir ensemble? Ramassez nos skis et prendre le train vers où la neige est bonne, camper dans des auberges, traverser l’Oberland, le Valais, l’Engadine avec juste nos kits de réparation, des chandails de rechange et nos pyjamas dans nos sacs à dos, sans penser à nos études ni à rien d’autres.»
«On pourrait aussi faire la Forêt Noire comme ça… Y’a tellement de beaux endroits.»
«C’est vrai.»
Ils terminèrent le strudel et burent ce qui restait du vin.
George se laissa aller contre le mur et ferma les yeux.
«Le vin me fait toujours cet effet-là», dit-il.
«Tu te sens mal?», demanda Nick.
«Non. Bien. Mais bizarre.»
«Je comprends», dit Nick.
«Oui», dit George.
«Une autre bouteille?», demanda Nick.
«Pas pour moi», dit George.
Ils restaient assis. Nick les coudes sur la table, George affalé contre le mur.
«Est-ce qu’Helen va avoir un bébé?», dit George en se laissant tomber vers la table.
«Oui».
«Quand?»
«À la fin de l’été»
«Ça te fait plaisir?»
«Oui. Maintenant.».
«Allez-vous retourner aux États-Unis?»
«J’imagine.»
«Ça te plaît?»
«Non.»
George resta silencieux. Il regardait la bouteille et les verres vides.
«C’est horrible, hein?», dit-il.
«Non. Pas tout à fait.»
 «Comment ça?»
«Je ne sais pas», dit Nick.
«Irez-vous faire du ski tous les deux aux États-Unis», dit George. 
«Je ne sais pas», dit Nick.
«Les montagnes ne valent pas grand-chose, dit George.
«Non», dit Nick. «Elles sont trop rocheuses. Elles sont pleines d’arbres et elles sont trop loin.»
«Oui», dit George. «C’est comme ça en Californie».
«Oui», dit Nick. «C’est comme ça partout où j’ai été.»
«Oui», dit George. «C’est comme ça.»
Les bûcherons suisses se levèrent, payèrent et sortirent.
«Vaudrait mieux être Suisses», dit George.
«Ils ont tous le goitre», dit Nick.
«Je pense pas», dit George.
«Moi non plus», dit Nick.
Ils éclatèrent de rire.
«Peut-être qu’on ne skiera plus jamais ensemble, Nick», dit George.
«Il le faut», dit Nick. «Sinon sans toi ça ne vaut pas la peine.»
«On devrait», dit George.
«Il le faut», dit Nick.
«J’aimerais bien qu’on puisse se le promettre», dit George.
Nick se mit debout. Il referma son coupe-vent. Il se pencha vers George et ramassa ses bâtons de ski qu’il avait laissés contre le mur. Il en planta un dans le plancher.
«Les promesses, ça ne donne rien», dit-il.
Ils ouvrirent la porte et sortirent. Il faisait très froid. La neige avait figé. Le chemin montait dans la montagne à travers les grands pins.
Ils reprirent leurs skis qu’ils avaient laissés contre le mur de l’auberge. Nick enfila ses gants. George s’était déjà mis en route avec ses skis sur l’épaule. Maintenant, ils allaient pouvoir rentrer ensemble.

07 mars 2020

Du bon ski de croûte à l’abbaye d’Oka

Incroyable à quel point on s’est amusé sur nos gros skis Kom aujourd’hui, à glisser sur la croûte blindée générée par la pluie de cette semaine.

On était l’abbaye d’Oka. Les sentiers battus par les marcheurs et les vélos à gros pneus étaient raides, bosselés et désagréables. Alors on s’en est écarté pour s’improviser une randonnée à travers champ et à travers bois.

À travers champ, on s’est beaucoup amusé à filer à toute vitesse sur la croûte; et à travers bois, on a réussi à faire des descentes sur le flanc sud de la petite colline située à côté de l’abbaye. La pente est douce et exposée au soleil de ce côté-là. Alors nos skis mordaient assez pour que ça tourne…    

04 mars 2020

Saranac Lake, village de ski

Cette année, notre escapade de relâche scolaire nous a amené à Saranac Lake dans l’état de New-York.

La météo nous a joué des tours. Il a plu deux des trois jours où on a été là; mais on a quand même pu découvrir les attraits qui font de Saranac Lake un authentique village de ski.

Jour 1, après une solide averse arrivée en même temps que nous dans les Adirondacks, j’ai réussi à faire une belle randonnée Dewey Mountain Recreation Center
 
À quelques minutes en auto du village, ce centre offre une dizaine de kilomètres de sentiers de ski tracés au flanc de la montagne qui lui donne son nom. Pour l’essentiel, il s’agit de larges pistes impeccablement tracées pour le classique et le patin; mais il y a aussi un sentier non-entretenu qui passe par le sommet de la montagne.

Il y a de l'éclairage sur les sentiers à Dewey Mountain.
Le début du sentier rustique qui mène au sommet du mont Dewey
La vue au sommet de la montagne.
Jour 2, on a skié sur la Jackrabbit Trail entre Lake Placid et Saranac Lake, une sortie que j’ai raconté en détail ici

Il y a aussi un centre de ski alpin à Saranac Lake, le très petit mont Pigsah; mais pour faire de la descente le troisième jour de notre escapade, on a plutôt choisi de visiter Whiteface Mountain où on s’est frotté au plus haut dénivelé skiable de la côte est et à un fort vent qui nous a empêché de visiter le sommet de la montagne. 

Les pistes en haut de la montagne étaient glacées, mais on a quand même fait deux descentes qu’on n’est pas d’oublier sur les pistes Excelsior et The Willimington Trail. 

C'est clair: le vent fait la vie dure aux arbres au sommet de la Willmington Trail.
Après ça, on est sagement resté au bas de la montagne où les surfaces étaient plus molles et les pistes bien assez longues pour s’amuser.

Autre attraction à ne pas manquer à Saranac Lake : l’historique Saranac Hotel, une institution des Années Folles qui était tombé en décrépitude et qu’on a rénové il y a peu de temps.

Pas besoin d’y séjourner pour en profiter. Nous on s’est pointé là une mercredi soir pour savourer des cocktails et on a eu le bar de l’hôtel pour nous seuls pendant deux bonnes heures. On en a profité pour se comporter en maître des lieux... 
 
CLIQUEZ ICI pour voir le secteur sur Opensnowmap.

On a bu nos cocktails en jouant aux cartes...
On a niaisé avec un vieux coffre-fort...
On a niaisé avec les vieilles cabines téléphoniques...
Et on a même osé se glisser derrière le bar!