En sortant sa voiture il examina le bord du chemin.
Les traces fraîches étaient là. Deux sillons moulés dans la neige printanière filaient vers la colline où il avait rendez-vous.
Fébrile comme un fugitif, il mettait ses bottes. Chaussait ses skis. Prenait le bois comme on prend le large.
On était à la fin mars, un samedi. Le soleil brillait. La vieille neige pétrifiée par le gel de la nuit ramollissait au soleil. Ses skis mordaient là-dedans comme dans du beurre.
La glisse produisait son effet. Il laissait derrière lui tout le reste. Se délestait un peu plus à chaque foulée. Se retrouvait seul.
Du côté de la route, la colline qu’il contournait est abrupte, rocheuse, hostile au ski. Voilà pourquoi il s’en allait de l’autre côté.
Ce flanc-là forme une longue pente ondulée, ni trop raide ni trop douce, plantée d'arbres clairsemés, qu’il voyait pour la première fois.
Celui qu’il venait rejoindre avait déjà tapé un sentier d’ascension, fait quelques descentes.
Il attaquait la montée. Ralentissait la cadence. Cherchait son souffle de vieux de cinquante ans en train de faire sport d’enfant : monter et descendre une bonne côte sur une paire de ski.
Il était à mi-pente quand un skieur apparut au sommet. Agile, aérien, il dévalait la colline à coup de virage télémark. S’arreêtait à sa hauteur.
Hé. Salut. C’est beau. Parfait. Mieux qu’en ville. C’est sûr. Cette neige-là, c’est magique. Comme la poudreuse. Mieux que la poudreuse. Plus facile, mais pas mieux. Non c’est sûr.
Plus jeune, plus fort, l’autre prit les devants dans la montée. Ils gagnèrent le sommet, puis se laissèrent happer par la pente.
En descendant, il se retrouva à nouveau seul. Le monde rétrécit quand on louvoie parmi des arbres. On ne voit plus que l’espace entre leurs troncs. Et pas plus loin que le prochain virage.
En arrivant en bas, il ressentit ce qu’il ressentait toujours après ce genre de descente. Du contentement. De l’insatisfaction. Une émotion difficile à situer qui lui donnait envie de remonter pour mieux redescendre.
Il retrouvait l’autre. Reprenait avec lui le chemin du sommet.
Pis? Comment ça se passe de votre bord? Pas si pire, mais on a déjà des cas. Et c’est juste une question de temps avant que…
La réponse de son compagnon lui faisait regretter sa question. Elles restaient en suspension dans l’air ambiant. Et quand le téléphone de l’autre se mit à sonner, il eut le sentiment de l’avoir provoqué.
La conversation devenait vite hachurée, tendue. Ils avaient trois cas dans une résidence. Pour les isoler, il fallait installer des lits, trouver des employés.
L’autre faisait son travail. Donnait des instructions. Raccrochait. Puis ils gagnèrent en silence le sommet et il regarda l’autre se laisser aller dans la pente
Il connaissait bien cette silhouette, ce style.
L’homme, par contre…
Ils s’étaient rencontrés par hasard sur une autre colline, un autre hiver. Et depuis ils faisaient du ski en parlant de ski.
Sa descente à lui se passa moins bien que la première. En cherchant de la neige vierge, il trouva des broussailles. Perdit l’équilibre. Finit par débouler cahin-caha jusqu’au pied de la pente.
Au moins, je suis resté debout. Moi j’en ai pris une bonne hier. Ici? Non, sur la Munson. Dans la grosse descente? Quand je suis arrivé en bas, le ruisseau était dégelé. Oups. Ouain, ç’a mal fini.
Ils avaient presque remonté tout la colline quand le téléphone de l’autre sonna à nouveau. C’était sa patronne. Oui, il avait eu des nouvelles. Non, il ne savait pas ça.
Il raccrochait. Racontait en faisant aller son téléphone. Le bordel était pogné. Il fallait qu’il rentre au plus vite à la maison.
Salut Robert. Bon là c’est parti pour vrai. On a des cas dans plusieurs résidences. Faut envoyer des gars sur Plessis. Hein? Voyons, faut qu’ils fassent leur job. On a de l’équipement de protection pour eux autres. Rappelle-les. Moi mon téléphone achève.
C’était fini. L’autre reprenait ses bâtons qu’il avait planté dans la neige. Se préparait à partir.
Désolé. Pas de problème. Toi reste, profite-en.
Ils dévalèrent une dernière fois la colline ensemble, puis celui que la civilisation réclamait prit le sentier pour la rejoindre.
Celui quil laissait derrière restait planté là dans la neige. Lui aussi avait envie de retourner vers sa maison, sa femme, son fils, comme si pour lui aussi c’était l’urgence. Mais il était là, en santé, à l’abri du danger, inutile, et sa famille n’avait rien à craindre pour l’instant.
Il reprit le chemin du sommet. Fit une autre descente. Mais son allant s’en était allé avec l’autre.
En arrivant à sa voiture, il aperçut les traces de son compagnon qui, pressé de rentrer, avait traversé sur ses skis le chemin de gravier,
C’était comme examiner une scène de crime. Le virus avait emporté son ami, tué l’hiver. Il ne restait plus qu’à rentrer s’encabanner à la maison.

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