21 mars 2021

La montagne à Gaston


La montagne à Gaston

 

Ma nouvelle préférée d'Ernest Hemingway se passe dans les Alpes suisses.

C'est le printemps. Deux amis font leur dernière descente de ski de la saison, puis s’arrêtent dans une auberge où des bûcherons arrivent avec leurs chevaux.

Nous aussi on faisait du ski de printemps cet après-midi là. Mais à trois. Au flanc d’une colline des Laurentides. Où nous aussi on a vite rencontré un bûcheron.

C’était Gaston. On skiait sur sur terre, dans sa trail. Lui sortait du bois de poêle au volant d'un VTT plutôt qu‘avec un cheval.

Tomber sur Gaston nous obligeait à lui demander la permission d’aller faire un tour sur sa montagne.

Pourquoi pas? Nos mains étaient déjà pleines de bâtons, nos dos déjà chargés de sacs à dos. Même si on l’avait voulu, on aurait été incapable de voler la moindre bûche de bois. Et il n’y avait rien qu’on pouvait casser dans cette forêt à part nos skis et nos os.

Pourtant, ça nous est arrivé souvent de frapper des pancartes et des propiétaires plantés là pour nous défendre de passer.

Mais pas cette fois. Gaston n’était pas d’humeur à faire une montagne avec notre présence sur la sienne. Au lieu de nous envoyer jouer ailleurs, il nous a laissé jouer les squatters des neiges.

Le flanc de sa montagne est hérissé d’arbres matures. Et nous on venait remplir de virages l’espace entre les troncs nus de ces grands feuillus sans feuilles.

On a rallié le sommet, puis on est redescendu en faisant tourner nos skis. Il faisait chaud. La neige ramollissait à vue d’œil sous l'effet du soleil. On sentait qu’elle n’allait pas résister encore longtemps aux rigueurs du printemps.

On est remonté. On est redenscendu. On est remonté. On est redescendu. Puis on repris la trail à Gaston et on est allé faire un tour sur la colline voisine.

Rendu là, on était plus chez Gaston mais chez un gars qui s'occupait de ses érables qui coulaien. Pendant que sa blonde se la coulait douce étendue sur le siège de leur motoneige.

Eux non plus n’ont pas pris le mors au dent en voyant trois hurluberlus en ski débouler chez eux. Est-ce que le printemps ramollit aussi les propriétaires?

Dans la nouvelle d’Hemingway, Nick et Georges s’arrêtent boire un coup dans une auberge. Nous on a fait ça autour d'une grosse roche au sommet de la montagne à Gaston.

Une bouteille de porto est sorti d'un sac à dos. C'est avec ça qu’on s’est affaibli les facultés avant de prendre le chemin de la civilisation.

C'était la première fois que je skiais avec des verres dans le nez. Le porto me rendait à la fois plus confiant et moins vif, ce qui n'est pas nécessairement un mauvais échange. La confiance, c'est utile quand on essaie de faire tourner des skis parmi des arbres.

La nouvelle d’Hemingway raconte bien plus qu’une fin de saison de ski. Chassés de la montagne par le printemps, Nick et Georges redescendent vers un monde où les attends une femme enceinte, les études de Georges, l’Amérique où Nick va bientôt devoir retourner.

Nous aussi on redescendait vers ce monde-là. Et je me suis senti revenir de bien plus loin que les Laurentides. L’espace d’un après-midi, la montagne à Gaston m’a aussi bien dépaysé que les Alpes suisses. Je n’y mettrai sans doute plus jamais les skis. Mais Je vais me rappeler la fois où j’y suis allé comme on se rappelle un vrai voyage.

Chez Gaston, avant de descendre, il faut monter.

David et Bris7 attaquent un versant facile... 

David dans un moment de grâce.

La tuque, la barbe et le démon blond.

Santé depuis le sommet de la montagne à Gaston!

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