Requiem pour la Loken
Je skiais en pensant à son père quand j’ai rencontré Kristina.
Mike Loken était mort quelques jours plus tôt, à l’âge de 98 ans. J’étais là pour saluer sa mémoire en skiant dans son sillage, sur le sentier qui porte son nom.
Comme lui à l’époque où il a commencé à laisser sa trace dans les Laurentides, j’avais chaussé mes skis dans le coin où se trouve de nos jours l’hôtel de ville de Sainte-Anne-des-Lacs. Le chemin qui menait au chalet des Loken n’était pas déneigé dans ce temps-là, et c’est en ski que Mike et sa famille s’y rendaient durant l’hiver.
Moi j'avais pris le départ à côté d'une grande carte du tronçon de trois kilomètres du sentier Loken officiellement protégé par les autorités.
À son apogée, La Loken formait une vaste boucle, entre Sainte-Anne-des-Lacs et Saint-Sauveur, qui a longtemps fait le bonheur d’innombrables skieurs.
Dans les dernières années, par contre, le développement résidentiel a irrémédiablement amputé et morcellé l’oeuvre de Mike Loken.
Skier sur un kilomètre dans des traces de raquettes. Marcher longtemps sur une rue pour retrouver le sentier. Skier encore un peu. Marcher encore un peu. Puis skier avec bonheur sur un autre kilomètre en plein bois.
Voilà à quoi avait ressemblé mon voyage au bout de la Loken. Qui s’était terminé devant une barrière flambant neuve plantée sur le vieux sentier par le propriétaire du terrain situé de l’autre côté.
C’était une mauvaise rencontre. Mais en rebroussant chemin j’en ai fait deux belles. Avec la tuque et la fille de Mike Loken.
La tuque aux couleurs de la Norvège était sur la tête de la fille. Et la fille revenait de chercher une façon de rejoindre ce qui reste de la Loken au-delà de la propriété défendue par la barrière flambant neuve.
On a parlé de son père. On a parlé de ski. On a évoqué l'avenir incertain des vestiges de la Loken. Puis j’ai regardé Kristina partir vers la maison des Loken sur le lac Cupidon.
Le norvégien Mikarl Loken est arrivé au Canada en 1953. C'était un comptable, mais aussi un grand amateur de ski de fond. Il a acheté un chalet à Sainte-Anne-des-Lacs en 1958 et aussitôt commencé à défricher son sentier qu'il a entretenu lui-même bien au-delà de ses 80 ans.
Selon sa fille, il a vécu presque 100 ans parce qu'il était bon là-dedans, vivre.
Voilà un compliment qu’on devrait tous s’efforcer de mériter.
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Kristina, la tuque de son père et le «merci» en norvégien accroché sur une balise par un gentil skieur.
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Salut et merci, monsieur Loken.
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