Pour une dernière fois
On ne sait jamais quand on est en train de skier pour la dernière fois de l’hiver.
Parfois une saison partie pour durer prend fin d’un seul coup de théâtre. Coup de chaleur. Coup d’eau qui tombe du ciel. Ou coup de la vie qui nous rappelle qu’il y a des choses plus importantes que le ski.
J’ai skié une fois en me disant que c’était ma dernière fois de l’hiver. Mon beau-père était à l'hôpital à ce moment-là. Les dernières nouvelles n'étaient guère encourageantes. On désespérait de le voir reprendre le dessus, rentrer chez lui sur ses deux jambes.
Moi j’étais sur un sentier des Laurentides un 10 avril. Les pieds dans la neige. La tête dans les nuages noirs qui planaient sur ma belle-famille. En me disant que sa fin de vie allait probablement bientôt mettre fin à ma saison de ski.
En ruminant tout ça, j’ai réalisé que si j’étais là, dans le bois sur mes skis, c’était à cause de lui.
À la fin des années 70, comme mon père et comme des milliers d'autres pères québécois, cet homme s'est mis au ski de fond avec sa jeune famille.
C'était à Danville dans les Cantons de l’Est. La famille fréquentait le défunt centre de ski de fond du mont Scotch Hill.
C'est comme ça que ma blonde a appris à aimer le ski pendant que je faisais pareil sur la Côte-Nord, dans une ville autrefois connue sous le nom d’Hauterive.
Ensuite, on a veilli jusqu’à devenir des jeunes trop cools pour faire du ski fond. On est parti étudier à Montréal. On s’est rencontré. Puis on est devenu un jeune couple qui s’est vite mis au ski de fond pour profiter de l’hiver.
Et pour moi le ski s’est transformé en passion d’une vie.
J’ai fait une seule fois du ski avec mon beau-père. C'était sur les sentiers du club de golf d’une ville autrefois connue sous le nom d’Asbestos. Ma blonde était là, sa mère aussi. Renaud était tombé dans un petite côte. On avait ri en le voyant couché par terre, et on s'était un peu inquiété pour cet homme dont le corps vieillissait plus vite que la moyenne.
C’était une dernière fois qu’on a vécue sans s’en rendre compte. Renaud n’a jamais refait de ski. Et on n’a jamais refait de ski avec lui.
Je me suis retrouvé à son chevet quelques jours après ma randonnée du 10 avril 2022. Son cerveau avait rendu l’âme. Il était couché dans un lit d’hôpital et on était réuni autour de lui pour assister à sa fin assistée.
Mais avant, on écoutait avec lui quelques-unes de ses chansons préférées. Et quand Jerry Boulet a entonné Pour une dernière fois, j’ai trouvé ce que j’avais à dire à mon beau-père de skieur à skieur.
Salut Renaud. Toi tu es tombé pour une dernière fois. Et maintenant c’est nous qui devons nous relever.
Le refuge La Cordée m'a servi de camp de base. |
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