Faire l'enfant
L’enfant que j’ai été est revenu à la vie pendant cette tempête-là.
Ce n’était pas la première fois. Ce n’était pas la dernière non plus. Il refait surface chaque fois qu’une bordée de neige qui m’attrape en flagrant délit d’habiter en ville, loin des pentes et des sentiers qui font mon bonheur de skieur dans la cinquantaine.
La neige tombait dru quand j’ai pris mon déjeuner dans la cuisine. L’adulte dans la pièce a consulté les conditions routières et conclu qu’il n’allait pas se risquer vers les Laurentides. Puis il est sorti pelleter son entrée, déblayer son auto.
L’enfant, lui, voulait aller skier. Mais pas sur le plat, dans un parc pas loin. Ni au mont Royal dans des pistes damées à la machine. Il voulait une pente, faire des virages dans la grosse neige que l’adulte avait pelleter.
C’est lui qui m’a convaincu de l’amener à Allan’s Hill, la plus belle pente à glisser de l’ouest de l’île de Montréal.
Cette large côte gazonnée est tout ce qui reste d’une ferme où a planté des maisons. Elle a un riche passé de ski. Dans les années 60, YMCA local donnait des cours dans sa douzaine de mètres de dénivelé.
La neige tombait toujours. D’autres enfants faisaient du traineau. Moi j’étais un peu gêné de me pointer là sur mes skis. Mais après ma première descente, l’enfant que j’accompagnais a pris le dessus.
Il avait tout un côté de la pente pour lui seul. Il descendait en faisant des virages, remontait par un sentier dans le bord du bois, redescendait dans la neige vierge, remontait, redescendait encore.
Chaque fois, je lui disais que c’était la dernière. Mais il ne m’écoutait pas.
Je le regardais aller en me rappelant toutes les pentes où il avait fait pareil dans son jeune temps. La petite côte dans le bois où il se prenait pour Steve Podborski. La grosse côte derrière son école où l’amenait son père. La coulée chez sa tante Lucie. La coulée derrière chez lui dans le Rang 7 où il avait patenté une rampe de saut à ski.
Je repensais aussi aux endroits où je l’avais vu resurgir dans ma vie d’adulte. La côte qui flanquait notre maison sur l’île Perrot. La butte à glisser de Lachine tard un soir parce que je ne voulais pas qu’on le voit. Le bord du cimetière en pente de Danville. La pente de l’auberge Schweizer à Sutton. La falaise Saint-Jacques. Les butons du parc du Centennaire à Dollard-des-Ormeaux.
Avant qu’il se tanne, un autre enfant s’est joint à lui. Un vrai celui-là, accompagné par son père, qui descendait en équilibre précaire sur une planche à neige sans fixation.
On a partagé la pente pendant un bon moment, puis son père lui a emprunté sa planche et nous a montré que lui aussi pouvait faire l’enfant en réussissant une descente parfaite.
J’ose croire qu’il n’aurait pas osé si je n’avais été là pour faire l’enfant le premier.
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C'était tranquille quand je suis arrivé. |
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Ma série de descentes que j'ai alignées du mieux que j'ai pu. |
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Allan's Hill au temps où son existence était menacée. |
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Un jeune en planche à cru a fini par se joindre à moi... |
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Puis son père lui a emprunté sa planche et nous a montré qu'il était meilleur. |
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