Pirouettes sauvages
Il commençait à faire noir quand on est parti en éclaireur.
J’avais mes skis aux pieds. Mon grand avait sa petite planche sans fixations sous le bras. On a traversé la rue principale du village et on a pris le bord du bois.
On était en fin d’après-midi. Il neigeait à plein ciel. Dans la pénombre, c’est moins gênant de se faufiler à côté de la maison du voisin d’en face dans l’espoir de trouver un sentier, de faire une descente dans la vallée où coule la rivière Colombier.
On était là en congé de Noël. Chez mon vieux père qui lui était occupé à pelleter la neige à mesure qu'elle tombait. Chacun sa façon de profiter d'une bordée.
À l'orée du bois, on a trouvé une trail. À Colombier, personne ne fait du ski. Et tous les sentiers sont des trails d’engins à moteur.
Ça glissait bien dans la neige nouvelle. Mais après une belle petite descente, on a frappé un mur.
Plusieurs épinettes étaient tombées dans notre sentier. L’embâcle était infranchissable. Mais mon grand était content de sa descente et voulait continuer.
C’est le fun quand on cherche pis que c’est l’aventure.
On a remonté la pente. On s’est aventuré dans une autre direction. On a trouvé à une clôture. Devant nous s’étendait un des rares champs encore en vie dans ce village où l’agriculture n’a pas réussi à s’enraciner.
On était à l’orée de la fermette du deuxième voisin d’en face, Luc. Devant un champ où mon père va souvent ramasser des fraises et des bleuets sauvages.
Je me suis dit que ça nous donnait la permission d’y aller pour la neige.
On a sauté la clôture. On a pris le champ. Et le monde s’est ouvert devant nous.
Le champ descendait par paliers dans la vallée. Derrière, on voyait des collines qui font partie des Laurentides même si elles sont sur la Côte-Nord.
J’ai dévalé en douceur le premier palier du champ en collant mes deux skis pour creuser une piste. Puis mon grand a descendu là-dedans en équilibre précaire sur sa petite planche.
On aurait pu revirer de bord. On a plutôt poussé jusqu’au deuxième palier du champ. Et fiston a lâché un cri d’excitation. Dans cette pente, le dénivelé skiable dépassait cing mètres! Et un ravin formait un invitante cuvette.
On en a profité en accumulant les descentes pendant que la neige et la nuit nous tombaient dessus.
On est resté jusqu’à la faim, puis on est rentré souper. Mais fiston avait déjà une suite dans ses idées.
Je veux y retourner avec ma grosse planche.
On est revenu en force le lendemain matin, deux fois plus nombreux. Mon père nous servait de guide. Ma blonde nous servait de photographe. Mon fils transportait sa planche à neige dans un traineau à bois fabriqué par mon père avec une vieille paire de skis.
Il faisait tout juste en bas de zéro. Nos traces de la veille avaient presque disparu sous une couche de poudreuse cristalline.
Au passage, notre guide nous a pointé les spots où il ramasse des petites fraises et des bleuets en été. Puis il a gagné son salaire de bénévole en nous faisant découvrir un chemin de tracteur qu’on avait manqué dans l’obscurité. Et il nous a regardé glisser dans une neige magique qu’on fendait comme de l’eau.
Un bosquet nous a servi de sous-bois. Une grosse bosse est devenue un saut pour planchiste. Puis on a dérivé vers la cuvette qui avait fait notre bonheur la vieille.
Sur sa grosse planche, mon grand l’a transformé en demi-lune – ou du moins en quart de lune où il prenait son envol pour faire des pirouettes.
Ces pirouettes-là sont comme les fraises et les bleuets sauvages que mon père ramasse ici l’été. Plus petites et plus rares que celles qu’on achète en vrac dans les parcs à neige des stations de skis. Mais aussi plus savoureuses.
Même pour moi qui regardait mon fils les ramasser au vol.
1 commentaire:
Super récit
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