Skiglisse: La montagne à Gaston

La montagne à Gaston

Ma nouvelle préférée d'Ernest Hemingway se passe dans les Alpes suisses.

C'est le printemps. Deux amis font leur dernière descente de ski de la saison, puis s’arrêtent dans une auberge où des bûcherons arrivent avec leurs chevaux.

Nous aussi on faisait du ski de printemps cet après-midi-là. Mais à trois. Au flanc d’une colline des Laurentides. Où nous aussi on a rencontré un bûcheron.

C’était Gaston. On skiait sur sur terre, dans sa trail. Lui sortait du bois de poêle en conduisantun VTT plutôt qu’un cheval.

Tomber sur Gaston nous obligeait à lui demander la permission d’aller faire un tour sur sa montagne.

Pourquoi pas? Nos mains étaient déjà pleines de bâtons, nos dos déjà chargés de sacs à dos. Même si on l’avait voulu, on aurait été incapable de voler la moindre bûche de bois. Et il n’y avait rien qu’on pouvait casser dans cette forêt à part nos skis et nos os.

Pourtant, en sillonnant les Laurentides, on a souvent frappé des pancartes et des propiétaires plantés là pour nous défendre de passer.

Mais pas cette fois. Gaston n’était pas d’humeur à faire une montagne avec notre présence sur la sienne. Au lieu de nous envoyer jouer ailleurs, il nous a laissé jouer les squatters des neiges.

Le flanc de sa montagne est hérissé d’arbres matures. Et nous on venait remplir de virages l’espace entre les troncs de ces grands feuillus sans feuilles.

Il faisait chaud. La neige ramollissait à vue d’œil sous l'effet du soleil. On sentait qu’elle n’allait pas résister longtemps aux rigueurs du printemps.

On est monté. On est descendu. On est remonté. On est redescendu. Puis on repris la trail à Gaston et on est allé faire un tour sur la colline voisine.

Rendu là, on était sur la propriété d’un autre propriétaire.

On l’a trouvé en train de s’occuper de ses érables qui coulaient pendant que sa blonde se la coulait douce, étendue sur le siège de leur motoneige.

Eux non plus n’ont pas pris le mors au dent en nous voyant débouler chez eux. Est-ce que le printemps ramollit aussi les propriétaires?

Dans la nouvelle d’Hemingway, Nick et Georges finissent leur journée en s’arrêtant boire un coup dans une auberge.

Nous on a fait ça autour d'une grosse roche au sommet de la montagne à Gaston. Une bouteille de porto est sorti d'un sac à dos. C'est avec ça qu’on s’est affaibli les facultés avant de faire notre dernière descente.

C'était la première fois que je skiais avec des verres dans le nez. Le porto me rendait à la fois plus confiant et moins vif, ce qui n'est pas nécessairement un mauvais échange. La confiance, c'est utile quand on louvoie parmi des arbres.

La nouvelle d’Hemingway raconte bien plus qu’une fin de saison de ski. Chassés de la montagne par le printemps, Nick et Georges redescendent vers un monde où les les études de Georges, l’Amérique où Nick doit bientôt retrourner avec sa femme enceinte.

Nous aussi on redescendait vers ce monde-là. Et je me suis senti revenir de bien plus loin que les Laurentides.

L’espace d’un après-midi, la montagne à Gaston m’avait aussi bien dépaysé que les Alpes suisses. Je n’y mettrai sans doute plus jamais les skis. Mais je me rappelle de cette journée comme on se rappelle un grand voyage.